Contribution pour une cité écologique

Au sortir de la longue séquence électorale nationale qui s’achève, l’écologie politique se trouve dans une situation historique pleine de contradictions. A la fois reconnue et tiraillée comme jamais.


Chacun.e a pu éprouver sur le terrain des différentes campagnes, les avancées, les concessions, les résultats. De la séquence présidentielle il reste, au-delà de la déception, la démonstration du progression de l’écologie EN politique, son influence et la centralité occupée par ses thèses, leur rapide réappropriation par les autres forces dans la recomposition en cours. De l’ambitieux accord électoral des législatives avec l’ensemble des gauches, il reste au delà de l’élection de 141 député.es de la NUPES dont 23 écologistes (16 EELV), le signal de l’électorat traditionnel de la gauche qui a répondu présent sans pour autant se renouveler, ni vraiment se rajeunir. Il y a eu de l’enthousiasme et du soulagement sans créer de dynamique en profondeur. Le niveau d’abstention vertigineux rappelle que l’attente est encore forte pour une autre société, un nouvel imaginaire et la nécessaire démonstration - dans les actes - de l’authenticité et l’efficacité d’une autre politique. Corrélé à l’entrée en force du RN à l’assemblée nationale, l’écologie politique paraît encore trop peu structurée, son système encore trop éloigné de la conduite du pays pour constituer seule, une alternative.


Convaincu.es de l’opportunité du combat et la justesse de la cause, malgré les difficultés et face à l’urgence, nous souhaitons plus que jamais contribuer à déployer un message politique fort et rassembleur, porteur d’espoir, inscrit dans l’histoire des grandes conquêtes politiques et des avancées structurelles, voire des changements de régime. Nous pensons essentielle l’affirmation et la consolidation de l’écologie politique pour aborder plus sereinement la construction de majorités avec les forces de gauche qui permettent de progresser, c'est-à-dire une formation politique élargie et organisée, une ligne politique claire et une stratégie partagée qui s’adresse efficacement à la société civile. Le mandat qui s’ouvre plein d’incertitudes s’appuiera sur les forces vives dont la NUPES est un levier pour construire la résistance mais pas le seul horizon.


L’adéquation de la réponse écologiste au monde qui vient

Il est indispensable de (re)positionner clairement l’écologie sur l’échiquier politique. Mettre en perspective les équilibres politiques sous-jacents et revenir sur la teneur des projets de société respectifs. La démonstration a été faite de l’efficacité de la coalition et la persistance de valeurs partagées comme de divergences récurrentes. Il a aussi été tangible que l’absence de coordination du travail de fond depuis plusieurs années et la persistance d’impensés, régaliens notamment, ont assombri la démonstration de l’adéquation de la réponse écologiste au monde qui vient.


Repositionner le mouvement et agir vite, passe par l’affirmation de la singularité et la globalité du projet écologiste comme matrice idéologique de la réinvention d’une force politique de gouvernement. Incontournable pour conduire réellement la mutation du système de développement, en France, en Europe comme dans le monde. Les canicules, les pollutions, les famines, les épidémies, les révoltes n’y suffiront pas. La peur n’est pas bonne conseillère. Au contraire, l’imminence du désastre et la violence des changements poussent beaucoup vers des options réactionnaires, conservatrices, négationnistes, voire identitaires ou populistes. Le néolibéralisme menace à la fois les humains, la nature, la démocratie…


Fonder le régime qui portera le projet

Le projet politique de l’écologie et la stratégie qui l’accompagne nécessitent d’être posés clairement pour plusieurs raisons, renforcer le message, emporter la bataille culturelle, poursuivre et amplifier la stratégie d’alliance post NUPES, impulser le dépassement ambitieux du parti de l’écologie, définir le cadre de gouvernance qui convient et redonner de l’enthousiasme. Affirmer aujourd’hui ces priorités c’est contribuer à ce que l’écologie politique se consolide concrètement en construisant son propre système autour de ses propres paradigmes, fonder le régime qui portera le projet. C’est installer la démarche dans l’histoire politique et ses étapes qui ont marqué les ruptures et les avancées fondatrices, jusqu’alors les conquêtes démocratiques et sociales. Il faut aller plus loin. Il n’y aura pas de changement politique sans passer à une République écologique. Tout reste à faire.


La philosophie de la République est plus qu’un régime, elle est une manière de penser, une façon de faire communauté, de construire la cité. Chaque République porte en elle un projet politique qui historiquement au moment de la rupture avec le projet précédent est émancipateur. La République propose un cadre porteur de valeurs. Lieu de l’interdépendance, de la solidarité, de la coopération, des communs, de la régulation, de l’interaction territoriale, elle paraît aujourd’hui la forme politique la plus adaptée, aboutie et potentielle, pour traiter des enjeux du dérèglement climatique, des limites planétaires et de la dégradation des conditions d’existence du vivant. Il nous revient de l’initier.


Apporter la réponse de l’écologie et de la république en ces instants chaotiques c’est avoir pleinement conscience que les crises sont les véritables moments du changement. Prendre conscience de la part révolutionnaire de l’écologie invite à se concentrer sur quatre basculements fondamentaux et une priorité géopolitique :


1 – Nous devons intégrer la redéfinition de la place de l’humain au sein du vivant comme de la relation des humains entre eux, femmes et hommes, pour plus d’égalité et de démocratie. Ce changement de paradigme stipule la sortie des systèmes de domination pour acter notre interdépendance, nous obligeant à plus de solidarité et de respect ;


2 – Nous devons reconnaître la « créolisation » de nos sociétés multiculturelles comme base de l’action qui permet de recréer le grand récit commun de l’émancipation et reconnaît chacun.e pour ses capacités, ses apports culturels et non ses origines ;


3 - Nous devons provoquer la rupture avec le dogme de la croissance et le productivisme pour inventer une stratégie écologique de l’économie tournée vers l’humain et la nature. Et acter la transformation profonde des institutions. C’est à dire désobsédée du profit où la production est socialement utile et écologiquement soutenable ;


4 – Nous devons concrétiser la relocalisation au sein des territoires, dans leur diversité et complémentarité. Ils sont le centre de l’action politique à tous les échelons - de la géopolitique mondiale à la gestion des communs locaux, de l’activité à la réorganisation de la production sur la base des besoins et des capacités locales ;


5 – Enfin nous œuvrons à une Europe forte. Dans un monde multipolaire, concomitamment à la fin de la domination de l’occident, émergent de grandes puissances et impérialismes où s’épanouissent notamment de nombreuses « démocraties » illibérales, où régimes autoritaires et extractivistes émergent et légitiment leur production de CO2 en reportant la responsabilité sur le développement des puissances historiques du vieux monde. Dans ce contexte, notre responsabilité est de faire la démonstration qu’un autre système de développement, une autre voie est possible. Parallèlement, l’accélération du processus de constitution d’une Europe fédérale, sociale et autonome, dotée de ses propres institutions démocratiques et de défense est une priorité qui pourra être complétée par la création d’une « Communauté Politique Européenne » pour l’élargissement aux pays qui le demandent ;


Acteur de la recomposition politique

Poser le postulat de la cité écologique est une façon de définir et organiser la stratégie qui l’accompagne pour faire coïncider la conquête de la majorité culturelle et celle de la majorité politique. Au-delà de la crédibilité à piloter la société, il est nécessaire de préciser l’architecture organisationnelle à déployer pour gagner en efficacité. Deux axes se dessinent pour répondre à cet objectif : les alliances stratégiques et les alliances organiques. Les fonctionnements du parti qui se réclame de l’écologie politique méritent aussi d’être adaptés aux exigences d’efficacité pour la conquête et l’exercice du pouvoir.


  • L’écologie tiraillée : en cette période de recomposition politique entre le courant social démocrate (PS) et le populisme de gauche (LFI)


La reconstruction du courant social-démocrate se fera autour de la question écologique. Elle a déjà commencé. Pour ce faire et avant même une refonte de son corpus, ce courant va rechercher l’alliance avec une partie des écologistes. Jusqu’à maintenant, le parti de l’écologie politique, EELV pouvait sembler enclin à répondre à cet appel et envisager de supplanter la social-démocratie par une sorte de syncrétisme social-écologique. L’ampleur du recul du vieux parti rend-elle encore viable cette option et est-elle souhaitable sur le fond ? Plusieurs exemples européens montrent que cela reste un des axes possibles de recomposition. La construction du référentiel commun nécessite beaucoup d’adaptations et d’arbitrages.

Dans le même temps et d’une manière tout aussi nette, le leadership du populisme de gauche s’est fortement affirmé dans la dernière séquence et va chercher lui aussi à préempter tout ou partie du logiciel écologiste. Il ne s’agit pas là pour lui de se légitimer comme dans le cas des sociaux-démocrates, plutôt d’intégrer le plus complètement possible la dimension écologique à son propre projet pour pousser à la disparition d’un parti de l’écologie politique - concurrent. Là encore, il peut exister au sein d’EELV, une appétence prête à aller dans cette direction sous le concept de « rassemblement des gauches écologistes ». Cet axe de radicalité devra évoluer pour faire passer les ruptures classiques de la gauche à celles ontologiques de l’écologie. La logique de coalition et l’approfondissement du référentiel commun sont indispensables avant d’envisager une refonte dans une structure unique et hégémonique.



  • L’écologie reconnue et ouverte : concerne l’organisation du parti et sa capacité à mobiliser et s’appuyer plus efficacement sur le peuple de l’écologie. Le parti sans articulation avec la société civile, de plus en plus jeune et déterminée ou le mouvement social, se retrouve hors-sol et réciproquement l’activisme recherche un débouché politique à réinventer ;


Dans la dernière séquence, grâce à sa grande plasticité organisationnelle, le mouvement de la France Insoumise a su habilement mettre en place un « Parlement de l’union populaire » et structurer cette articulation. Élargi en tant que Parlement de la NUPES, il prétend devenir instance d’élaboration commune entre les formations de la gauche et l’écologie. Outils d’acculturation utile, la participation et les contributions d’EELV nécessitent l’élaboration de modalités précises pour des décisions collectives et organisées. « Pour dîner avec le diable, il faut avoir une longue cuillère »…


Dans ce sens, le parti de l’écologie politique, EELV, pourra commencer par se réapproprier les principes initiés il y a quelques années avec la Coopérative et l’adapter à l’exigence d’élargissement de la base écologiste pour l’irrigation réflexive des espaces de luttes. L’explication du piètre score de la présidentielle se trouve en partie dans l’incapacité à mobiliser le « terrain écologiste », celles et ceux qui partagent les idées, sans l’engagement partisan. Il s’agit de redéfinir les termes des interactions organiques avec la société et des membres des corps intermédiaires qui la structurent.


La tentation de la dilution

Face à ces deux voies, la « social-écologie » et le « l’éco-populisme de gauche » ont en commun la vision de la dilution, voire de la disparition à moyen terme du parti de l’écologie politique. Pourtant seul capable de refonder une République définitivement écologique et d’œuvrer à l’accélération de la construction européenne, il est indispensable de tracer une voie singulière pour l’écologie qui assure, notamment grâce à des alliances de coalition, la victoire de la bataille culturelle d’abord puis, la conquête de la majorité politique. Sur cette question stratégique, faisant suite à la construction de la NUPES pour les élections législatives, l’ouverture d’un cycle de discussions et d’approfondissements organisé en interne puis avec l’ensemble des partis de la gauche est nécessaire pour que l’écologie y devienne la force idéologique la plus audacieuse, porteuse du projet de transformation le plus en profondeur.


L’adéquation du parti et de la société : la démocratie

Conquérir les institutions est une œuvre collective. Changer les politiques publiques et installer une République écologique nécessite de se départir de mauvaises pratiques et de (re)mettre en adéquation les « outils et méthodes » de l’écologie politique avec son temps, son projet et ses valeurs. La fin et les moyens ne pouvant être dissociés, c’est dans la cohérence de l’organisation et la pratique que se joue la réussite du projet pour faire advenir cette nouvelle République écologique.


Si EELV a pu se targuer d’innovation dans son fonctionnement et d’une forte cohérence entre ses valeurs et son projet (parité, fédéralisme, coopération, démocratie), une interprétation de plus en plus flexible semble devenue possible dans les faits. Les pratiques se sont transformées ces dernières années. L’adaptation aux usages numériques rendue incontournable par les confinements successifs est venue bousculer brutalement, en politique comme dans le travail, les potentiels et les limites de l’organisation. Ainsi, l’articulation des instances a t-elle pu paraître pesante et constituer un frein à l’agilité et la rapidité de la prise de décision qu’appelle de son côté l’accélération du monde libéral toujours prompt à renvoyer au second plan les considérations démocratiques. La multiplication, voire la saturation des supports d’échange (listes, fils, boucles, forums, etc.) a pu laisser croire à l’élargissement du débat quand elle ne l’a jamais épuisé car tout simplement pas construit. Enfin, l’exacerbation du centralisme de la Vè République poussé par les crises et le recours récurrent aux différents états d’urgence a limité la marge d’expression et exigé une immédiateté des réponses peu compatibles avec l’élaboration collective et la maturation des décisions. Comment s’adapter aujourd’hui pour redonner le goût de la politique, gagner en efficacité sans vendre son âme, réinventer des fonctionnements propres au projet de l’écologie politique, proche des citoyen.nes, à la fois disruptifs, exemplaires et en résonance avec la marche du monde politique ?


Des statuts en harmonie avec les valeurs

Au sein d’EELV, l’évolution par exemple de la place et du poids des élu.es (et leurs collaborateur.trices) toujours plus nombreux.ses (et c’est une bonne chose) devient de plus en plus prégnant (et c’est nouveau). Ne pas ignorer le risque de dérive vers l’unique objectif de conquête des postes au détriment du travail de fond, de formation, d’élargissement et d’implantation. De la même façon, au nom de la démocratie, la tendance au dévoiement du principe de la proportionnelle par les courants internes transformés en écuries est avérée, chacune comptant avant tout le nombre de postes obtenus dans les désignations internes ou externes. Enfin, le fédéralisme dont se prévaut EELV est souvent devenu symbolique, les instances régionales étant avant tout composées en fonction des courants nationaux au lieu de la représentativité des territoires.

Plusieurs mesures devront permettre l’évolution des statuts en harmonie avec les valeurs et l’organisation de la Cité écologique :

  • 1. Fédéralisme et reconnaissance des territoires

L’organisation fédérale repose sur le respect des territoires et leur légitimité à prendre les décisions qui les concernent dans tous les domaines selon le principe de subsidiarité. Le fonctionnement actuel est organisé de plus en plus autour des motions nationales qui structurent la vie démocratique du parti. Il est nécessaire d’appliquer plus strictement l’esprit des statuts et de faire en sorte que les territoires aient leur expression propre et soient totalement respectés ;

  • 2. Démocratie et représentativité, minorités, proportionnelle

La logique des courants garantit la représentativité proportionnelle de la pluralité des pensées. Telle qu’elle fonctionne actuellement, elle pousse à la confrontation et l’opposition plutôt qu’à la coopération au service de l’intérêt collectif. Nombre d’adhérent.es s’en désintéressent. Envisager un recours intermittent à cette logique permettrait d’atténuer les effets négatifs tout en valorisant la confrontation d’idées ;

  • 3. Coopération, co-construction et partage de connaissance

L’organisation de l’élaboration des positions d’EELV peut être améliorée. Pour ce faire une Conférence Permanente de l’Écologie pourrait être créée à l’instar du Parlement de la NUPES, composée pour l’essentiel de partenaires individuels ou de collectifs (associations, ONG, Syndicats, etc.) pour contribuer à préparer des orientations soumises au Conseil Fédéral. De même, la création d’une École de l'Écologie Politique est une nécessité trop longtemps retardée dont l’absence se fait sentir notamment au moment où s’engage une nouvelle génération.

  • 4. Ethique

Actuellement en vigueur à plusieurs échelons, la règle du partage des responsabilités au sein d’un binôme paritaire reste à mettre en œuvre à certains endroits et au plan national. Afin de favoriser la parité et l’exercice partagé de la direction, le principe d’un co-secrétariat national devra entrer en vigueur dès 2023.

Par ailleurs, certaines instances ne coïncident pas avec les échelons politiques de la Vè République. Quelques Régions n’ont par exemple pas leur équivalent en interne et les intercommunalités n’ont pas de « vis-à-vis » interne, y compris lorsqu’elles sont organisées en métropoles. Les adhérent.es sont privés de lieux d’échanges sur les politiques menées. Le respect des territoires doit inciter à favoriser la coordination à chaque échelon.

Enfin, pour limiter le cumul des mandats et la pratique du « saute-mandat » consistant à ne pas aller au bout d’un mandat pour un briguer un autre, des règles plus précises doivent être adoptées. Il est nécessaire de revoir la grille d’évaluation et de limitation des mandats pour mieux prendre en considération les mandats exercés.


L’ambition régalienne

Le constat sévère est nécessaire pour poser un diagnostic lucide. L’écologie politique doit se dépasser et proposer une alternative face à la désaffection et la crise de confiance des citoyen.nes pour proposer une alternative ambitieuse. Un des enjeux importants réside dans sa capacité à envisager une évolution statutaire qui soit le reflet de ses propres valeurs et non une normalisation appauvrissante inspirée par d’autres formations ou des fonctionnements de la Vè République, toujours plus sous influence du néolibéralisme, managérial et opportuniste. Ce risque nécessite la construction de propositions singulières et authentiques d’adaptation du parti EELV aux principes et valeurs de l’écologie politique - et non à l’air du temps - se conjuguant efficacement avec l’impatience, notamment des jeunes générations face à l’urgence bioclimatique.


De l’organisation à la stratégie, en passant par l’aspiration philosophique et les institutions, l’écologie politique nécessite l’impulsion d’une remise en question exigeante pour se hisser à la hauteur des attentes citoyen.nes, sociales et démocratiques, de l’urgence bioclimatique et de la conquête du pouvoir. La contribution de la Cité écologique en posant les bases de l’ambition régalienne propose à tou.tes les militant.es impatient.es de voir le monde changer vraiment, de s’emparer dès maintenant des enjeux de cette nouvelle perspective.