Quelles leçons tirer des élections 2022 ?

Quelle dynamique créée par les candidatures uniques de la NUPES

aux élections législatives ?

Quel impact de l’appartenance partidaire des candidat.es sur la dynamique ?


De très nombreux commentateurs ont souligné l’importance et l’efficacité d’avoir présenté des candidatures uniques de l’ensemble des forces politiques de gauche et écologistes aux élections législatives de 2022.

S’il est incontestable que cela s’est traduit par un plus grand nombre d’élu.es issu.es de ces partis politiques qu’en est-il réellement de la dynamique créée ? Comment l’électorat s’est-il comporté face à ces candidatures uniques, s’est-il davantage mobilisé notamment dans les circonscriptions considérées comme plutôt abstentionnistes et/ou populaires ? L’étiquette des candidat.es a-t-elle eu un impact sur les résultats ?

Parmi les responsables politiques de gauche et écologistes, la plupart se sont félicités de l’accord trouvé en expliquant qu’il s’agissait là d’une attente forte de l’électorat habituel de leurs partis et qu’ainsi la dynamique unitaire permettrait de convaincre une partie non négligeable des abstentionnistes de se rendre aux urnes puisque la victoire devenait possible.

Si la plupart des observateurs avisés n’ont jamais cru à la possibilité d’une majorité de gauche et écologiste, il faut néanmoins constater que cette éventualité fut répétée sans limite par les responsables de la France Insoumise tout au long de la campagne, comme une promesse à concrétiser dès lors que les abstentionnistes prendraient conscience de leur rôle essentiel pour atteindre l’objectif.

Pourtant lors des négociations entre les parties prenantes personne n’a proposé un scénario avec plus de 289 circonscriptions gagnables par la NUPES, bien au contraire, puisque le nombre de circonscriptions avancées comme potentiellement gagnables n’a jamais dépassé 180.

Il semble donc que ce positionnement de vainqueur potentiel ait eu un tout autre objectif que de mobiliser réellement et qu’il ait eu avant tout l’intérêt de mettre en avant à nouveau la place incontestable de Jean-Luc Mélenchon au cœur du dispositif politique, avec les concepts de 3è tour et de 1er ministre potentiel.

L’annonce du retrait de Jean-Luc Mélenchon de l’Assemblée Nationale laissait entendre une prise de distance progressive du champ politique mais dès le lendemain du deuxième tour, il reprenait l’initiative en proposant un groupe commun puis en déclarant qu’il restait le maître de la ligne politique de la NUPES, prévoyant une prochaine dissolution et donc une nouvelle occasion pour lui de briguer le poste de 1er ministre.


Cette stratégie s’appuie-t-elle sur des éléments objectifs issus des résultats aux élections législatives et à la capacité de la France Insoumise d’espérer la victoire en cas de nouvelles élections ?


L’élection présidentielle

Plutôt que de partir d’impressions liées à tel ou tel résultat local, à la dynamique créée par des équipes militantes souvent très impliquées et motivées, il semble plus important d’analyser les résultats des élections législatives au regard de l’élection présidentielle qui les a précédées de peu et qui laisse penser que l’électorat n’a pas radicalement changé d’opinion entre les deux échéances.

L’élection présidentielle a été marquée par la dispersion des forces de gauche et écologistes, seul Jean-Luc Mélenchon parvenant à franchir la barre des 5%.

Il est utile de resituer ce résultat parmi ceux obtenus par la gauche et les écologistes depuis 20 ans.

Il convient de préciser qu’en 2002 les candidatures d’Arlette Laguiller et Olivier Besancenot atteignaient ensemble 9.97 %

Le résultat de 2022 est donc le deuxième plus mauvais score depuis 2002 si l’on tient compte des candidatures particulières de l’extrême gauche en 2002.

Il apparaît donc que la succession dans cet ordre de l’élection présidentielle puis des élections législatives empêche toute possibilité de créer les conditions d’une cohabitation. Le succès incontestable du RN aux élections législatives démontre à quel point l’électorat ne se déjuge pas aussi rapidement.

Les élections législatives

Compte-tenu des spécificités des DOM-TOM, de la Corse et des Français.es hors de France, l’analyse porte sur les circonscriptions de la France métropolitaine seulement.


L’efficacité du rassemblement ?

La première remarque porte sur l’évolution de l’abstention. Contrairement aux espoirs formulés, la participation aux élections législatives a poursuivi sa décrue et l’abstention poursuit sa montée.

Compte-tenu du postulat sur la persistance de l’électorat et l’écart de participation entre les deux scrutins, il semble cohérent de comparer le résultat cumulé des 4 candidat.es de gauche et écologiste à la présidentielle aux résultats des candidat.es soutenu.es par la NUPES aux élections législatives en pourcentage des voix obtenues par rapport aux suffrages exprimés.

Contrairement à une idée largement répandue, les candidatures uniques ne permettent pas dans l’immense majorité des cas d’obtenir le même résultat que lorsqu’il y a pluralité de candidatures.

Ainsi l’ensemble des candidat.es de la NUPES obtiennent 26.97 % des voix au premier tour des élections législatives alors que les 4 candidat.es à la présidentielle cumulaient 30.62 % des suffrages exprimés.

Et si l’on regarde circonscription par circonscription on note que seule une cinquantaine de circonscriptions voit le score des candidat.es aux législatives améliorer le score de la présidentielle mais l’amélioration n’est sensible que dans 27 circonscriptions. En revanche la perte est sensible dans plus de 400 circonscriptions.

On peut raisonnablement affirmer que loin de créer une dynamique réelle, les candidatures uniques ont seulement permis d’intégrer les conséquences d’un mode de scrutin particulier qui impose d’être au deuxième tour pour avoir une chance de victoire.

Ainsi les 4 groupes à l’Assemblée nationale comportent au total 151 élu.es ce qui est proche du résultat qu’aurait permis l’application stricte de la proportionnelle soit 155 élu.es.

Ceci interroge singulièrement car à l’inverse le RN avec 89 députés est sous représenté par rapport à ses résultats en pourcentage qui lui donnerait près de 110 député.es !

La création de la NUPES n’a donc pas créé de dynamique citoyenne permettant d’atteindre un résultat meilleur qu’à la présidentielle, n’a pas enrayé la tendance abstentionniste, et a seulement permis d’avoir un nombre d’élu.es correspondant à son poids électoral.

Impact des étiquettes des candidat.es

La désignation des candidat.es a soulevé de nombreuses critiques sur l’adéquation entre les candidat.es et la sociologie de la circonscription voire l’impact potentiel du parachutage et la notoriété supposée ou réelle des candidat.es.

Si on analyse les résultats des élu.es[1] en fonction de leurs appartenance partidaire, quelques évidences sautent aux yeux. (Les analyses suivantes portent sur les résultats obtenus par les candidat.es ayant gagné leur élection et donc devenu.es député.es)

Pour la France Insoumise c’est la quasi-totalité des candidat.es qui voient leur résultat baisser sensiblement par rapport à l’élection présidentielle. Une exception mérite d’être relevée : François Ruffin considéré sans doute comme quelque peu atypique au sein de la France Insoumise voit son résultat supérieur de plus de 10 points à celui de la présidentielle dans sa circonscription.

Au total les candidat.es de la France insoumise perdent 4.32 points par rapport à la présidentielle passant de 42.55 % à 38.23 % des voix dans les circonscriptions des élu.es.

Pour les écologistes les résultats ne sont pas radicalement meilleurs.

Les candidat.es écologistes perdent des points dans la quasi-totalité des circonscriptions et passent de 40.88 % à 37.32% dans les circonscriptions des élu.es. Seule Delphine Batho, par ailleurs seule député sortante améliore sensiblement son résultat avec un gain de plus de 8 points.

Il faut souligner que la notoriété ou supposée telle n’impacte en rien les résultats à la baisse, seul Julien Bayou arrivant à maintenir à peu près le résultat de la présidentielle.

Pour les communistes le résultat est plus inattendu.

En effet, globalement, les candidat.es progressent passant de 36.76 % à la présidentielle à 40.50 % aux législatives mais il faut souligner que plus des deux-tiers des candidat.es étaient sortants (Voir infra l’analyse spécifique sur les sortants).

Pour les socialistes l’amélioration des résultats est incontestable.

Avec un gain de 4.55 points entre le résultat à la présidentielle (32.31%) et celui obtenu aux législatives (36.86 %) ils obtiennent des résultats quasi identiques aux autres partis politiques et semblent avoir récupérer une partie de leur électorat potentiel qui n’avait pas voté à gauche à la présidentielle.

La comparaison par appartenance partidaire met en évidence que l’image du parti politique pèse plus qu’on ne veut bien le reconnaître dans le vote des électeurs et électrices. La radicalité affichée de la France Insoumise n’apporte pas de gain significatif bien au contraire. L’image des écologistes tiraillés entre radicalité revendiquée et responsabilité affirmée ne semble pas avoir convaincu. Les communistes démontrent qu’ils ont encore une implantation locale qui sert même si cela n’a d’impact que ponctuellement et ne pèse pas lors des scrutins nationaux. Enfin les socialistes tirent bien leur épingle du jeu arrivant semble-t-il à effacer les années Hollande au profit d’un discours tout à la fois plus à gauche mais dans une posture de responsabilité.

Les sortant.es réélu.es

Il est admis que les candidat.es déjà élu.es bénéficient d’une « prime » liée à leur implantation et au travail de terrain quand ce dernier est réellement exercé.

Parmi les députe.es de la NUPES élu.es en 2022, 28 l’étaient déjà depuis 2017.

Si la « prime » a fonctionné pour les candidat.es communistes, Delphine Batho pour les écologistes et en partie pour les socialistes, il n’en va pas de même pour les Insoumis.

Ainsi 6 insoumis sur 7 enregistrent une baisse de leur résultat par rapport à la présidentielle avec notamment une chute de plus de 10 points pour Clémentine Autain et Eric Coquerel. Seul François Ruffin enregistre une progression.

Les sortant.es communistes sont 3 sur 8 à perdre des points et parmi les « gagnants » il faut souligner les très bons résultats de Sébastien Jumel (plus 15 points) et surtout André Chassaigne (plus 20.62 points) dont l’implantation locale est aussi ancienne qu’importante.

Les socialistes se maintiennent ou progressent tou.tes avec des résultats particulièrement flatteurs pour Guillaume Garot et Jean-Louis Bricout (ce dernier ne siège pas dans le groupe socialiste et reste non-inscrit).

Les classes populaires

L’objectif proclamé des partisans de l’alliance des forces de gauche et écologistes est que l’unité permet de retrouver un soutien parmi les classes populaires et de renouer avec un vote progressif dans les territoires les plus pauvres.

Faute de disposer des statistiques par circonscription pour l’ensemble du territoire, on peut néanmoins regarder ce qu’il s’est passé dans le territoire le plus pauvre, la Seine Saint-Denis.

Les 12 circonscriptions ont été gagnées par la NUPES (dont la 7è dès le premier tour) et certain.es n’ont pas manqué d’en tirer la conclusion que la NUPES avait su regagner la confiance des plus défévorisé.es.

Il faut tout d’abord souligner l’effondrement de la participation aux élections législatives, celle-ci faisant plus que doubler en passant de 30.22 % à 61.67 %. Cette dégradation touche indifféremment toutes les circonscriptions quelle que soit l’étiquette partidaire des candidat.es.

Par ailleurs dans toutes les circonscriptions le résultat obtenu aux législatives est moins bon que celui obtenu à l’élection présidentielle pour les 4 candidat.es de gauche et écologiste avec des pertes dépassant 10 points dans 5 circonscriptions.

Il est donc assez faux de prétendre que l’alliance a permis la reconquête des classes populaires dans ce département et on peut probablement élargir la conclusion à l’ensemble du territoire national.

Quelles conclusions pour l’avenir ?

L’analyse détaillée permet d’avancer quelques hypothèses dont il faudrait tenir compte dans l’avenir.

La crédibilité du projet commun

Tout d’abord l’alliance n’a pas permis d’enrayer la faiblesse globale de la gauche et des écologistes face à l’extrême-droite et l’extrême centre macroniste. La perte de 10% de l’électorat progressiste entre la présidentielle et les législatives met en évidence une faible crédibilité du processus et sa robustesse dans la durée. Les dissensions anciennes n’ont sans aucun doute pas été oubliées et une partie des électeurs et électrices n’a pas cru à un réel changement. Cela leur est sans aucun doute apparu comme un simple accord électoral technique permettant de sauver des postes.

Cela implique pour l’avenir d’approfondir les divergences pour qu’un programme partagé devienne crédible. Cela ne saurait se faire dans les conditions retenues pour la NUPES à savoir partir du projet de la France Insoumise qui n’a pu être amendé qu’à la marge, des pans entiers restant à arbitrer faute d’un accord.

La méthode semble aussi importante que le contenu final pour en asseoir la crédibilité.

La question de la radicalité

Beaucoup ont affirmé que la seule façon de gagner était de mettre en avant un projet de rupture totale et quasi immédiate avec les politiques néolibérales à l’œuvre depuis des années. Cette manière de faire ne semble pas avoir recueilli un assentiment réel de la part de l’ensemble de l’électorat progressiste, ce dernier étant plus probablement demandeur d’évolutions réelles et profondes sans néanmoins s’inscrire dans une perspective de type quasi révolutionnaire. C’est toute la question du programme de transition qui est posé : peut-on avancer et mettre en œuvre des politiques publiques qui changent réellement mais de façon radicalement progressive ou doit-on passer par des ruptures plus brutales ? A l’évidence c’est la première stratégie qui rencontre le meilleur écho parmi l’électorat progressiste.

Le mode de scrutin

La plupart des démocraties européennes ont retenu depuis longtemps le principe du suffrage universel direct à la proportionnelle. La France (comme l’Angleterre) étant une exception.

Cette vision très présidentielle de l’État a montré ses limites à l’occasion des élections législatives.

Ce système ne peut en effet fonctionner dans une France éclatée électoralement au point qu’aucune force politique n’est suffisamment forte à elle-seule pour emporter la majorité.

D’une certaine façon la situation préfigure en partie ce que serait un système électoral à la proportionnelle.

Il est donc plus que jamais indispensable de relancer le débat sur les réformes institutionnelles en ne se limitant pas au mode de scrutin pour les élections législatives mais en imaginant ce que serait une démocratie dans une République écologique.

De l’art des compromis

La fin d’une majorité quasi automatique devant entériner les propositions de l’exécutif (les députés « godillots ») amène à mettre en avant l’indispensable recherche d’accords au sein du parlement pour faire voter les lois. Ce principe est souligné comme une avancée démocratique en Allemagne et au Parlement Européen mais semble encore peu acceptée au niveau national. Cela provient en grande partie de l’histoire qui a habitué l’opinion à un affrontement systématique sur tous les sujets d’une part, à la dérive autoritaire du Président actuel peu enclin à rechercher des compromis sinon avec la droite conservatrice d’autre part.

Pour autant il serait sans aucun doute délicat de s’inscrire dans une posture de rejet systématique de toute proposition à l’instar de la France Insoumise, car cela reviendrait à renoncer parfois à quelques avancées certes trop timides mais néanmoins attendues par la population.