Pourquoi la République écologique est

un objectif prioritaire pour les écologistes ?

« La Révolution et la République sont indivisibles. L'une est la mère, l'autre est la fille. L'une est le mouvement humain qui se manifeste, l'autre est le mouvement humain qui se fixe.

La République, c'est la Révolution fondée […] on ne sépare pas l'aube du soleil. »

Victor HUGO, Discours devant l’Assemblée législative, le 17 juillet 1851



Un fil court, permanent, unique depuis les 230 ans qui nous séparent du 21 septembre 1792, la République. Il n’y en a jamais eu qu’une seule et si les empires et les coups d’état l’ont obscurcie, si cinq constitutions l’ont redéfinie à chaque moment dramatique de son Histoire, la République en France n’a cessé d’affirmer son héritage issu de la Révolution de 1789.


À côté des principes, que sont le suffrage universel, la démocratie, l'égalité des droits entre tous les citoyens, l'obligation scolaire, le respect des libertés fondamentales dont le droit à la libre expression, la laïcité, la fraternité et l’égalité politique, son héritage sans cesse consolidé, exprime également une ambition collective, un principe d'action permanent, un mouvement vers l’émancipation et la recherche du bien commun.


Ce qui a défini la République au long du temps, c’est la double impulsion de permanence et de renouvellement, qui en fait un objet politique capable aussi bien de refondation comme de décadence. Les écologistes doivent donc, inscrire leur projet dans cette continuité historique et le « traduire » dans le cadre républicain pour faire de la réécriture « écologique » de la constitution, un objectif prioritaire, au service non seulement, de la défense de la démocratie, mais aussi, de la construction d’une société écologique, elle-même démocratique.


L’écologie sans la République ne peut mener qu’à l’autoritarisme ou à l’isolationnisme et la République sans l’écologie, qu’à l’effondrement et à la barbarie. Plus vite, sera opérée la réconciliation historique avec comme pivot un renouveau démocratique, plus vite sera enclenchée une dynamique légitime, populaire et majoritaire.



1. Toute république est idéologique.

« La source du pouvoir est le peuple constituant, mais la source de la loi est la Constitution. »

Hannah Arendt, Essai sur la Révolution.



Il est primordial d’avoir présent à l’esprit, la nature puissamment idéologique d’une constitution, c’est un précipité des aspirations politiques de la partie dominante de la société à un instant donné de son histoire, la loi en découle directement et durablement et par voie de conséquence, la vie de tout un chacun.



Dès la constitution de l’an I, La République renvoie à un projet politique collectif, qui en définit le sens historique. La première République porte une volonté d’égalité avec la fin de la monarchie, la fin de l’esclavage, le suffrage universel (masculin), la laïcité de l’État, la citoyenneté, le divorce… Comme pour chaque République depuis Rome, le danger viendra de la personnalisation du pouvoir et de la confiscation des attributs du peuple, le premier Empire sera proclamé le 18 mai 1804.



Après 50 ans de pouvoir autoritaire, la constitution de la deuxième République, elle aussi s’appuiera sur un projet politique, d’abord progressiste puis conservateur. Issue de la Révolution de 1848, déclenchée par une crise économique, une inflation et du chômage de masse, la deuxième République, proposera des limitations du temps de travail, un retour au suffrage universel, la garantie de la liberté de la presse et de réunion mais moins d’un an plus tard, la République conservatrice reviendra sur ces avancées et l’élection au suffrage universel d’un président de la République ouvrira la voie au retour de l’empire avec le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851.



La défaite française de Sedan en 1870 plonge la France dans un grave crise politique et de ce tumulte naîtra la IIIe république, qui n’aura de cesse de réaffirmer les valeurs républicaines de « liberté, égalité et fraternité » avec l’instauration de l’école obligatoire, laïque et gratuite, la séparation des pouvoirs de l’Église et de l’État et en même temps portera dans son projet la réaffirmation de la puissance de la France avec le développement de l’Empire colonial et la préparation intellectuelle, économique et militaire de la revanche sur « les humiliations » dues à la défaite face à l’Allemagne. La IIIe République s’abîmera comme elle est née, dans la débâcle militaire face aux armées allemandes.



Au lendemain de la deuxième guerre, la IVe République, à partir de 1946, met en œuvre un projet de reconstruction et le développement, via une forte croissance économique et financière pour faire de la France une puissance européenne au sein de l’OTAN et de la Communauté Économique Européenne. Parallèlement, à cet objectif, des progrès sociaux et sociétaux fondamentaux seront actés et permettront le compromis social, socle de l’essor industriel du pays y compris avec l’accès des femmes au vote. Malgré cela, le système d’assemblée ne permettra pas, en douze ans d’existence, de trouver une stabilité et le début de la décolonisation avec ses polarisations, aura raison du régime.



Les constitutions qui ont précédé celle avec laquelle nous évoluons encore, ont toutes porté des projets politiques qui, dans leurs ruptures avec le précédent ont représenté, à la fois une réponse à la dégénérescence ou à l’inadaptation à l’époque et en même temps une révolution politique et institutionnelle permettant à la République de se renouveler et donc de continuer à exister.



2. Construire, produire, dominer

« Sans l'autorité d'un seul, il y aurait la lumière, il y aurait la vérité, il y aurait la justice. L'autorité d'un seul, c'est un crime. ».

Louise Michel


La constitution de la IIIe République est restée en vigueur pendant 70 ans, un record, que celle de la Ve République est en passe d’égaler. Six décennies nous séparent bientôt de l’écriture de ce texte et donc du projet politique qui le sous-tend. Alors que l’immédiat après-guerre, a vu la relance de l’économie, la reconstruction des infrastructures et l’établissement d’une redistribution sociale acceptée, la Ve république va accélérera ces processus. Modernisation, développement massif de l’automobile avec des plans autoroutiers et la fermeture des réseaux ferrés secondaires, développement de l’agriculture intensive et de l’agro-industrie avec l’utilisation des pesticides et des engrais. Les textes constitutionnels vont offrir aux pouvoirs politiques, et en particulier à l’exécutif, une autorité sans véritable partage, permettant dans les premières années d’imposer la fin de la colonisation (pas du néo-colonialisme) mais par la suite, bloquant la société, en particulier en réaffirmant l’emprise patriarcale, au point que celle-ci due passer par l’émeute pour desserrer l’étau. La victoire de la gauche en 1981, verra une libéralisation de la société, mais plus par décision « d’en haut » que par une modification des modes décisionnaires et la réalité du pouvoir se traduira par le plus long « règne » présidentiel, celui de François Mitterrand durant quatorze années. Le pluralisme n’étant pas inscrit dans les gènes d’un document rédigé dans un temps où la société était homogène avec une faible diversité et avec des imaginaires politiques monolithiques.



Chacun des huit présidents qui se sont succédé, ont puisé dans l’esprit de la constitution de 1958 pour vaincre et dominer et mettre en œuvre la lettre du régime : le productivisme dirigé, construit par un État fort, centralisé et détenteur de la vérité stratégique. Le projet profond des textes qui structurent notre vie politique et avec lesquels les écologistes ont à traiter, repose sur l’impératif de croissance, la production maximale, la domination du vivant, la bétonisation, la prédominance militaire pour sécuriser les filières extractivistes, en particulier nucléaire. La survalorisation de l’exécutif est le symbole exemplaire du type de gouvernance à l’œuvre en cette république, à l’instar de son plus fameux acteur jacobin, le préfet, véritable dirigeant des territoires en tant que représentant de l’État et de la politique de l’État.



Tel un organisme, la République s’affaiblit quand le projet politique, qui a façonné la nouvelle constitution n’entre plus en résonnance avec les enjeux de l’époque et les besoins du plus grand nombre. Les contradictions entre l’idéologie initiale désormais devenue conservatrice et les principes ontologiquement révolutionnaires de la République, exacerbent l’ensemble des relations sociales. Elles figent lentement, mais sûrement l’action politique, sclérose la démocratie et les libertés et réouvrent une possibilité pour ses ennemis, autrefois monarchistes aujourd’hui fascistes, de renverser la démocratie, dans un clair-obscur gramscien, propice aux monstres.



Nous assistons à une crise des pratiques de la démocratie représentative. Les cohabitations, l’échec du référendum du traité constitutionnel européen, l’abstention massive, le poids des fascistes historiquement opposés à la République (« la gueuze ») et plus récemment, la gouvernance minoritaire à la recherche de « majorités de projets » improbables ou scandaleuses, illustrent le renoncement à l'esprit démocratique de la Ve République. La société et le corps politique dépérissent face à la volonté de permanence du pouvoir au nom d'intérêts politiques contradictoires. La Constitution de 1958 ne repose pas sur l'affirmation d'une démocratie électorale, elle privilégie au contraire une légitimité de suprématie de l'État comme lieu de l'intérêt supérieur de la puissance de la Nation, impliquant que l'élection du Président doive impérativement dépasser le périmètre idéologique des partis politiques et besoins et revendications qu’ils portent.



Fort logiquement, les conséquences désormais irréfutables de la croissance productiviste sur le vivant et la biodiversité, sur les inégalités et les atteintes aux libertés et sur les conditions mêmes, d’existence d’une écrasante majorité d’humains, rentrent chaque jour, un peu plus, en collision écologiques, sociales et démocratiques avec les politiques inhérentes aux valeurs, aux textes, aux intérêts, aux hommes de la Ve République, défendues par l’État et son appareil (dans lequel il faut ranger les hauts fonctionnaires, qui effectuent des allers-retours entre cabinets et directions de grandes entreprises privées). Nous approchons ainsi de la chute du régime.




3. L’impossible consensus

« La République doit se construire sans cesse, car nous la concevons éternellement révolutionnaire, à l'encontre de l'inégalité, de l'oppression, de la misère, de la routine, des préjugés, éternellement inachevée tant qu'il reste des progrès à accomplir. »

Pierre Mendès-France, Sept mois et dix-sept jours



Le changement stratégique décidé par la fraction populiste de la gauche française, au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle de 2022, a participé, en unifiant les composantes de la gauche et de l’écologie à envoyer à la chambre une représentation éclatée, structurée en 3 blocs, sans majorité absolue.

Certain·ne·s y ont vu l’équivalent du résultat qu’aurait pu donner un scrutin proportionnel et par la même la chance d’apprendre à construire des « majorités de projet » et d’installer une « démocratie apaisée ». Bel espoir, qu’un premier projet de loi et quelques semaines de sessions auront battu en brèche.



Le dilemme des écologistes et seulement des écologistes, vient du fait que le cadre politique général est régi par des mécanismes, des équilibres qui ne fonctionnent qu’accolés au dogme de la croissance économique, comme sous-bassement mécanique des institutions et de la constitution en cours. D’autres formations politiques, y compris de gauche ou contestataires peuvent évoluer dans ce contexte parce qu’elles procèdent d’un principe de redistributions sociales, prendre ici pour redonner-là, leurs programmes visent à répartir différemment les fruits de la croissance, chacun défendant les siens, au nom de la lutte des classes, du darwinisme libéral ou de la préférence nationale.



Sauf à oublier la dimension systémique de l’écologie politique et le principe central de rupture avec l’ensemble des régimes de dominations, qu’ils soient productivistes, extractivistes, racialistes, patriarcaux, coloniaux, centralistes, militaristes, fascistes, il est problématique, voire impossible pour les écologistes de proposer leur programme ou simplement leur lecture des enjeux. La réussite des listes écologistes aux élections locales, est un trompe-l’œil dans la mesure où ce n’est qu’au prix d’une version « réaliste » et limitée du projet que ces victoires sont envisageables. Au-delà de ces éléments structurants, le principe de participation citoyenne dans l’élaboration et la décision des politiques publiques en particulier, dans les territoires, cher aux écologistes, se heurte systématiquement aux modes de gouvernances centralisées, administratives, opaques, propres aux enjeux d’un système obsédé par son surdéveloppement.



Il semble donc impossible, dans le cadre constitutionnel et institutionnel actuel de construire un consensus même pour permettre une stabilité politique, dont on sait par ailleurs qu’elle ne profitera qu’au camp conservateur. Si l’on reconnaît le caractère idéologique, fondamentalement libéral et de surcroît décadent, c’est-à-dire obliger d’en appeler à l’autoritarisme pour se maintenir, on ne peut que souhaiter et agir à la chute non pas de la République, mais de ce qui l’a animé pendant presque six décennies.


4. Une conflictualité objective

« Du moment que nous ne voulons pas d'ennemis, nous n'en aurons pas, raisonnez-vous ! Or, c'est l'ennemi qui vous désigne. Et s'il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d'amitié. Du moment qu'il veut que vous soyez l'ennemi, vous l'êtes. »

Julien Freud, L’Essence du politique.



Se pose alors pour les écologistes la question de la stratégie pour hâter la fin du projet politique productiviste vers un projet politique écologiste comme principe d’action de la République. Et c’est à ce moment précis, celui dans lequel nous nous trouvons, qu’il nous faut être « politique ». Ceux qui veulent à tout prix voir perdurer les prédations, les destructions, les oppressions pour maintenir leurs marges et leurs emprises, nous ont désigné comme leurs ennemis et agissent en conséquence. Dans cette guerre, commencée, il y a déjà longtemps, le cadre constitutionnel est une arme redoutable.

À notre tour, l’identification de l’ennemi - mortel n’ayons aucun doute à ce sujet - doit nous amener à appliquer une stratégie de contre-offensive dans une conflictualité multi-dimensionnelle.



Que ce soit dans les assemblées ou les exécutifs, que ce soit sur le terrain des luttes sociales, environnementales, culturelles ou démocratiques, les écologistes doivent prendre comme parti de pousser les termes légaux, institutionnels, juridiques, constitutionnels dans leurs derniers retranchements, avec pour objectifs, non seulement d’obtenir d’innombrables victoires, mais de démontrer que ce qui organise l’État et les institutions est une idéologie foncièrement anti-écologique et donc, considérant les phénomènes d’effondrement, mortifère.



La stratégie des écologistes doit embrasser une double perspective : celle de l'hégémonie culturelle et celle de l'écosystème. Si les analyses de l’écologie scientifique sur les conséquences de l’anthropocène sont désormais massivement partagées et de plus en plus vécues, le fait que ceux qui les perpétuent, se cachent au cœur de notre organisation politique et pas seulement sous la forme de lobbies, n’est ni connu ni compris. La bataille pour faire naître une République écologique est un processus d’acculturation sur l’idéologie des institutions qui n’ont jamais été neutres et qui représente l’ennemi de l’écologie le plus puissant car siégeant dans l’antre sacrée de notre collectif : la constitution. L’enjeu culturel auprès de l’opinion est en « guerre de position », qui conditionne la capacité à la mobilisation et à l’engagement du plus grand nombre. L’idéologie dominante porte l’idée que les sachants seuls peuvent diriger, que produire profite à tous et toutes, que ce qui est centralement décidé garanti sur tous les territoires l’égalité, que la domination sur la nature valide le progrès collectif humain, que le pouvoir incarné en un seul homme peut être salvateur…



Une des plus grandes forces de l’idéologie dominante constitutionnalisée est sa dimension réflexive. « Je suis au pouvoir alors je suis crédible à l’exercer » est une boucle particulièrement opérante du point de vue de la crédibilité d’autant que la pratique des institutions implique de réelles complexités juridiques, légales, économiques. L’erreur qu’il ne faudrait pas commettre, mais qu’il est difficile d’éviter, consiste à vouloir se conformer avec zèle aux règles de la Ve république, en ce qui concerne l’organisation de sa force politique, le type de campagne, de programme, d’incarnation, de hiérarchie des sujets, de rythmes électoraux, de pratiques politiciennes. La campagne présidentielle des écologistes de 2022 a été marquée par ce tropisme visant à rassurer pour convaincre d’une légitimité. Mais du point de vue culturel, c’est dévastateur, car la critique ne s’appuie plus sur la différentiation et plus simplement sur la différence, envoyant un message contradictoire. Ce qu’il faut pour mener cette « guerre de position » et donc pour asseoir à moyen-terme la crédibilité, c’est un programme de transition sérieux. Entre le modèle présent et l’établissement d’une société écologique, il existe un saut qu’il est inconcevable d’imaginer instantané, il faut donc installer des étapes cible, des revendications intermédiaires, culturellement compréhensibles et atteignables.



Le programme de transition est un concept dialectique qui répond à la contradiction entre les conditions objectives mûres, c’est-à-dire l’écologie scientifiques et les premières manifestations de la catastrophe et les conditions subjectives insuffisantes, c’est-à-dire la conscience du niveau de rupture, autant comportementale que systémique, avec la société de consommation en place depuis 60 ans.



Cet ensemble de revendications et mots d'ordre sont destinées à mobiliser les populations dans une lutte politique générale et locale, en vue de la révolution écologiste. Il vise à résoudre la tension entre programme immédiat, acceptable socialement et le projet d’une société écologique qui est le cœur de la proposition de l’écologie politique.

Si nous écologistes ne réfutons pas les idées productivistes en installant à travers l’éducation populaire, les collectivités que nous dirigeons, les réseaux sociaux, les médias indépendants, les relais d’opinion, des propositions et un imaginaire alternatif, un nouveau récit fédérateur, alors il nous sera impossible de rendre efficace et basculante « la guerre de mouvement » faite de confrontations directes, de luttes, de désobéissances…



C’est ce deuxième temps, la deuxième perspective, « la guerre de mouvement » au sens gramscien qu’il nous faut imaginer comme un écosystème. Le mode électif propre à la constitution actuelle, combat la diversité et ce n’est qu’au prix de regroupements, de fusions ou de coalitions que les forces politiques peuvent espérer accéder au pouvoir dans cet environnement. C’est pourquoi l’écosystème écologiste, sa « guerre de mouvement » doivent être multimodaux, en commençant par comporter une alliance électorale solide. Ne rien faire qui s’oppose à un pas en avant est capital, et l’accord de la NUPÉS, même s’il ne s’est pas fait à l’initiative des écologistes, offre un outil appréciable dans leur projection, d’autant plus s’il s’insère au bon endroit dans un ensemble complet. Il nous faut aussi être capable de rassembler ou du moins articuler les écologistes dans leurs diversités. Le pôle écologiste qui devait servir de préface à la refondation du grand parti de l’écologie pourrait devenir une fédération souple, capable de coordonner politiquement les actions purement écologistes et compléter ainsi la NUPÉS. Cet écosystème doit pouvoir aussi accueillir les élu.es écologistes et le rôle de courroie de transmission et de retour d’expérience qu’iels portent. Les choix stratégiques de mobilisation des écologistes dans les luttes sont là pour enrichir la valeur de l’écosystème, cela au côté des initiatives citoyennes, des syndicats, des ONG, des associations, des réseaux internationaux. Cette mise en stratégie vaut également pour la valorisation de leurs apports en termes d’expertises, de formation, et d’éducation populaire.



S’attacher à produire des expériences, des alternatives, des solutions, des créations, des équipes, des récits, les porter dans les luttes dans la rue, dans les territoires, dans les assemblées au travers d’une diversité organisée et en permanence analysée, c’est ce qui nous permettra de faire la démonstration centrale que l'écologie politique est un projet systémique qui procède d'une refondation complète et inclusive de notre société.



Cette démarche ne relève pas de l’incantation et un pays dans l’année qui vient de s’écouler en apporte la démonstration. Le Chili, à la suite d’une explosion sociale et après un processus de constituante, rentre dans la dernière phase du basculement d’une société régi par une constitution ultra-libérale, installée par un pouvoir militaire, datant de presque 40 ans à une constitution écologique, solidaire, sociale et féministe.



5. L’exemple chilien

« Cette Constitution, doit être un débat sur l'avenir et le destin du Chili pour les quatre ou cinq prochaines décennies… Ce sera à nouveau le peuple qui aura le dernier mot sur son destin. »

Gabriel Boric devant le Congrès à Santiago, le 4 juillet 2022



Au Chili, la constitution de septembre 1980, qui remplace la précédente datant de 1925, a été décidée et mise en place durant la dictature militaire d'Augusto Pinochet instaurée par le coup d'État de septembre 1973. Son contenu initial, comprenait plusieurs mesures donnant un pouvoir important aux militaires tout en restreignant toutes tentatives de réforme. Même si elle fut largement amendée à la suite du retour à un régime démocratique dans le cadre de la réforme de 2005, la structure principale du texte est toujours en vigueur, marquée par le manque de droits octroyés aux citoyen·ne·s et une concentration du pouvoir entre les mains du président de la République. Milton Friedman et les « Chicago boys », influencèrent sa rédaction et firent inscrire l’autonomie de la banque centrale du pouvoir politique et poussèrent à la rédaction de nombreux articles décrivant le droit de propriété alors même que pratiquement aucun droit social n’y était inscrit. Le 4 septembre de cette année, le peuple chilien sera amené, par référendum, à approuver ou à rejeter le projet de nouvelle constitution.



Après plusieurs mois de soulèvements sociaux, à l’automne 2020, un référendum approuve le processus de révision constitutionnelle et au printemps 2021 est élue une assemblée constituante. Cette dernière a présenté quatre caractéristiques nouvelles par rapport aux instances existantes. Elle était populaire, du fait qu’elle fut élue au suffrage universel direct, intégralement à la proportionnelle. Elle était indépendante, car la majorité des représentant·e·s était composée par des indépendant·e·s ou des gens qui n’avaient jamais eu de mandats politiques, les partis étaient représentés, mais aucun·e parlementaire n’a pu se présenter sans avoir préalablement démissionné de son mandat de député. L’assemblée constituante a été paritaire, strictement, du fait de règles favorisant cette égalité. Enfin, elle fut pluraliste puisque les peuples originaires furent, pour la première fois, représentés et purent porter la voix d’une minorité constamment exclue au Chili.



Aux termes d’un an de travaux, le texte final fut remis au président de la République le 4 juillet 2022 et l’Assemblée constituante fut dissoute dans la foulée.



Le contenu du texte montre clairement l’impact de son mode d’élaboration. La présence réelle des femmes dans le processus se traduit directement par l’inscription du droit aux soins, du droit à une vie sans violences sexistes et de l'inclusion d'une approche sensible au genre dans la justice et la politique fiscale et d'imposition. Il est également inscrit le principe de parité pour les postes de représentation populaire aux niveaux national, régional et municipal, qui vaudra aussi pour les organismes autonomes et les entreprises publiques.



De la même façon, la proposition de nouvelle Constitution chilienne inclut la définition de la plurinationalité, assumant ainsi la responsabilité de la dette historique envers les peuples indigènes. Avec ce texte, le Chili intégrerait au niveau des valeurs fondamentales, les questions environnementales. Il faut bien sûr trouver la source de cette volonté dans les raisons profondes du soulèvement social, la privatisation des droits sur l'eau et la priorité donnée à l'utilisation industrielle par rapport à l'utilisation humaine ont été motrices dans les mobilisations. Pendant des années, l’existence des "zones de sacrifice environnemental" a généré de puissants mouvements sociaux contre la détérioration de l'environnement, mais aussi son impact sur les personnes.

Le document consacre les droits de la nature et le devoir de l'État dans la gestion des biens communs naturels - comme la protection des glaciers et des zones humides - et garantit le droit universel à l'eau et à des installations sanitaires saines et accessibles, déclarant que l'eau est un bien qui ne peut être privatisé dans aucun de ses états.



Concernant la question sociale, ce qu’il faut bien avoir à l’esprit et cela fait écho aux remarques sur la nature politique des constitutions, la constitution chilienne de 1980 a un parti-pris idéologique néolibéral marqué ne permettant tout simplement pas des réformes dans des domaines clé. Les droits sociaux y sont à peine protégés et dans la "marchandisation" des droits sociaux, seules les entités privées les procurent, la "liberté de choisir" étant le principe organisateur sans égard aux moyens de l’exercer.



Dans le premier article de la nouvelle constitution proposée à l’approbation, "le Chili est un État social et démocratique, fondé sur l'état de droit." Il y est dressé la liste des droits, dont les droits classiques à la santé, à l'éducation, à la sécurité sociale et au logement (le logement était totalement absent de la Constitution de 1980.), ainsi qu'une nouvelle génération de droits tels que les droits environnementaux à l'eau et le droit de vivre dans un environnement sûr. D'autres droits sont inclus pour les groupes ayant un besoin particulier de protection, comme les enfants et les adolescents, les personnes âgées et les personnes handicapées.



Autre question, à laquelle, nous aussi, en France nous faisons face, celle du centralisme et de la concentration du pouvoir. Au Chili, les décisions sont prises dans la capitale. Le projet de constitution transforme la situation actuelle de manière décisive, tout en maintenant le caractère unitaire et indivisible de l'État. Il y est prévu de créer de nouvelles institutions et de transférer le pouvoir aux régions, y compris au niveau des communes, faisant naître ainsi ce qui a été appelé un "État régional" doté d'une autonomie régionale et communale.



En termes de démocratie et de participation aux décisions, divers mécanismes de participation sont proposés. Le pays devrait disposer, avec l’adoption de ce projet, de dispositifs de participation directe, entre autres via des initiatives populaires visant à révoquer une loi ou à réformer la constitution, ainsi que des référendums et des consultations aux niveaux régional et municipal. Pour certains sujets essentiels, un référendum est requis, si le seuil des deux tiers n’est pas atteint au parlement, donnant aux citoyens le dernier mot sur des changements futurs.



Enfin et sans être exhaustif, la proposition de constitution s’appuyant sur une demande populaire, se propose de mettre en place des sanctions contre tout comportement contraire à l'intérêt social, comme la collusion et les abus qui affectent le fonctionnement efficace, équitable et loyal du marché. Elle donne à l'État le devoir de promouvoir l'intégrité et d'éradiquer la corruption, avec des mesures pour prévenir, enquêter, poursuivre et punir ces crimes. Elle fait également de la transparence un principe constitutionnel et élargit la définition de l'information publique.



À la lecture des évolutions qui attendent le Chili, on mesure l’importance de l’articulation entre mouvement social, élaboration équitable d’un nouveau contrat collectif et instauration d’un nouveau texte constitutionnel en résonance avec les enjeux, à la fois du moment historique et des aspirations majoritaires des populations.



6. Vers la République écologique

« Reprendre le combat des idées et du projet de société, lutter contre l'idéologie dominante pour laquelle croissance matérielle, épanouissement par la consommation et centralité de la valeur travail est l'horizon indépassable : voilà le socle, l'accord minimum qui permet à ceux qui partagent ce constat de nous rejoindre pour construire les fondations d'un alter-développement. »

André Gorz, Avant-propos du Manifeste Utopia, 2008.



Modifier des lois, si cela peut sembler utile et nécessaire ne sera pas suffisant, ni même assez durable pour infléchir le cours dangereux de l’Histoire qui se présente à nous. Nous devons changer le texte fondamental duquel toute politiques et pratiques publiques découlent et qui synthétise le projet politique commun d’une société : la constitution.



Ce changement devra marquer le passage à la République Écologique en s’appuyant sur le passage des « droits de l’Homme » aux « droits du vivant » concernant tout autant les humains que les autres espèces, animales ou végétales, ainsi que les terres, en rejetant l’archaïque conception qui opposait la nature et la culture, en faisant dominer l’une par l’autre.



Une des voies qui permet cette évolution touche à l’échelon de prise de décision. L’écologie ou la prise en compte du vivant, s’opère d’abord à une échelle territoriale qui lie organiquement l’ensemble des interactions et des éléments existants. Cela signifie qu’il faut revoir structurellement notre organisation politique en sortant d’une soumission aux enjeux globaux, obligatoirement destructeurs ou ignorants des équilibres locaux. Il est difficile de ne pas faire le constat que les efforts de décentralisation, en particulier par la gauche au pouvoir, ce sont avérés limités et souvent remis en cause face à un État régit par une constitution jacobine, pour laquelle la valorisation de l’entité « Nation » a toujours primé sur tout sujet de préservation du vivant et ceci dans une relation de dépendance.



Or, c’est bien l’idée d’interdépendance, pourtant présente dans le paradigme républicain dès les premiers instants, qui fait défaut à l’esprit décadent de 58, alors même qu’il se retrouve ontologiquement dans la pensée écologiste. Cette idée n’est plus seulement limitée aux seuls humains, mais elle concerne tous les êtres vivants et ce qui les relient au monde, c’est-à-dire les espaces de vie, les territoires. C’est pourquoi la République écologique devra être un État régional, mono-constitutionnel et pluri-législatif, c’est-à-dire, doté de parlements au niveau de ses régions autonomes avec de forts pouvoirs législatifs transférés au niveau local. Elle laissera ainsi, une large autonomie décisionnelle avec de nombreuses prérogatives et compétences, de natures législatives, financières et fiscales, aux territoires, aux bio-régions, aux collectivités pertinentes.

L’enjeu pour cette nouvelle République, c’est de garantir et d’organiser l’intérêt collectif et durable et de rendre possible les initiatives locales, à différent niveaux, en assurant la la coopération et la solidarité entre les territoires et le partage et le retour d’expériences.



Les résonances entre l’esprit profond de la République et l’écologie ne s’arrêtent pas là. La volonté des fondateurs s’attachait à limiter le pouvoir absolu et arbitraire, à réguler l’accès et la jouissance des ressources pour qu’elles soient partagées d’une manière plus égalitaire, entre les différentes composantes de la société et dans l’espace du collectif. Où est cette exigence, à l’heure même de la surexploitation, de la surconsommation, de la captation éhontée des richesses qui atteignent des sommets rien moins que spectaculaires ? La base du raisonnement écologiste et l’axiome de la transformation écologique du monde, impliquent que les limites physiques de notre planète autant du point de vue des ressources que de la reproductibilité, matricent nos règles de vie, notre organisation sociale, nos lois, notre constitution.



La Constitution d’une République écologique doit donc pouvoir organiser la vie commune à l’aune de ces limites et établir à ce titre, comme le fait le projet de la constitution chilienne, la défense des communs, des conditions d’habitabilité des territoires et du patrimoine revenant aux générations futures.



Il nous faut également, inscrire l’enjeu européen dans cette réflexion sur le renouvellement constitutionnel. Même si la France, dans la seconde moitié du 20e siècle a beaucoup contribué à la mise place des institutions européenne et à l’espace que l’on nomme l’Union Européenne, il faut reconnaître, aussi, une réticence permanente dans l’intégration politique et fédérale de l’Europe. La constitution de 1958 est marquée par une dimension notoire de réaffirmation identitaire. Le rôle secondaire dans la victoire des alliés, la perte de l’Empire colonial ont appelé, face à ce recul, un nouveau rayonnement, et la mise en œuvre d’une politique de développement de puissance rapide pour conserver le rang historique du pays. La constitution de la Ve République consacre le Président de la République dans son rôle de chef suprême en charge de cette reconquête internationale de pouvoir, digne du Grand Siècle. La construction européenne, vue par Paris, à toujours était pétrie par cette tension entre l’engagement dans le projet collectif et l’utilisation de l’Europe comme support de puissance pour la France. La République, originalement, établie une relation de consubstantialité avec l’universel et c’est en ça qu’elle retrouve, une nouvelle fois, la pensée de l’écologie politique pour construire un ensemble politique plus vaste, que la seule nation. Pour que la France puisse jouer un rôle décisif dans les prochaines étapes de la construction européenne, vers une Europe fédérale, l’établissement d’une constitution qui le permette est indispensable. Le projet européen des écologistes ne pourra se concrétiser qu’avec ce changement et une évolution du concept de nation, que seule, la rédaction d’un texte fondamentale peut concrétiser.



Enfin, il est une dimension, plutôt contre-intuitive quand on parle d’urgence, mais qui lie étroitement écologie et République, celle du long terme. En politique comme en économie, le rendement immédiat est devenu le moteur de l’investissement. L’électoralisme ou la croissance annuelle du Produit Intérieur Brut sculptent les programmes et les mesures, relayant au second plan, à la fois la démocratie du point de vue du l’élaboration partagée, et les enjeux de durabilité et de renouvellement des écosystèmes du vivant. La Ve République, entrée dans sa phase décadente, n'intègre plus le long terme dans sa gouvernance, ni pour le mandat présidentiel, qui a été raccourcie et corrélé avec la législature parlementaire, ni dans la définition de politiques structurantes appuyées sur des mutations profondes et donc lentes de nos sociétés. Alors que le projet de la République comme celui de l’écologie politique sont systémiques et demandent des phases intermédiaires dépassant le temps d’un mandat ou d’une génération, celui du cadre institutionnel dans lequel nous évoluons est celui du gain rapide, émotionnel, réactionnel, indexé sur les résultats annuels et immédiatement monétisables. La réinscription de notre développement dans la durabilité et des perspectives civilisationnelles plutôt que comptables, est-elle, en revanche, une urgence.



L’interdépendance, la régulation, l’Europe, la démocratie et le long-terme au service de la préservation raisonnée de la chose publique, voilà ce qui lie, quasiment organiquement, la République et l’écologie dans un creuset écorépublicaniste et qui fait que le passage à la République écologique est un objectif prioritaire pour les écologistes. Il n’y aura pas de transformation écologique sans sortir du modèle de capitalisme productiviste et nous l’avons vu précédemment, au service duquel, il existe une digue constitutionnelle, qu’il faut briser pour lancer une mutation écologique et réinventer de nouvelles égalités. C’est autour de la question démocratique que se décidera, à l’heure de l’accélération des crises et de la préservation vitales des communs, l’alternative entre écologie ou barbarie.



« Le clivage entre républicanisme et écologie est lié à une phase historique particulière de la modernité et surtout du capitalisme productiviste dont il est urgent de sortir, il n’y a pas d’incompatibilité de fond entre les deux approches qu’une somme immense de méfiance et de malentendus a séparées. Mieux : c’est seulement à condition qu’elles se complètent mutuellement qu’elles trouveront respectivement leur accomplissement le plus profond, et permettront de sortir de l’impasse productiviste. »

Serge Audier, La cité écologique, chapitre 1, Écologiser le républicanisme, républicaniser l’écologie.



En sauvant et en renouvelant la puissance émancipatrice de la République, les écologistes pourront provoquer les conditions sociales et culturelles de la mise en œuvre du projet de société écologique et ce faisant, rentrer enfin dans l’Histoire.