Sciences et démocratie dans l’écologie politique

Comme tous les textes de ce site, le suivant est encore susceptible d'être modifié d'ici la date officielle de dépôt des motions pour le Congrès.


L’état des connaissances scientifiques concernant les causes et l’urgence de la crise écologique, à la fois climatique et environnementale, est accablant et sans appel. Le consensus présenté par les rapports consécutifs du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), et plus largement dans la communauté scientifique, ne laisse plus l’ombre d’un doute, ni sur l’étendu ; ni concernant les enjeux multiformes, ni de l’origine anthropique de la transformation de la biosphère. Nous sommes désormais profondément ancrés dans l’anthropocène où le temps géologique coïncide désormais avec les temporalités de l’histoire humaine. Nous accélérons vers une crise irréversible qui aura des impacts profonds et catastrophiques sur la civilisation humaine. Et si le consensus scientifique erre, c’est plutôt dans la sous-estimation de la rapidité avec laquelle cette crise est en train de se développer.

La question qui se pose aujourd’hui avec urgence est comment la réalisation scientifique d’une crise en accélération pourra se transformer en décisions publiques qui nous mènent collectivement à reculer du bord du gouffre, dans le cadre du respect des droits fondamentaux, de la démocratie et de la solidarité. Voici l’enjeu central de l’écologie politique : comment transformer une vérité scientifique d’urgence multiforme et avérée en action publique et collective, sans violenter au passage les autres structures normatives qui font qu’on fonctionne de manière décente en tant que société (ou les autres structures normatives qui assurent la cohésion de notre société) : démocratie, égalité sociale, droits fondamentaux, État de droit …

Constatons d’abord que les tentatives d’inscrire les réalités scientifiques dans les processus politiques internationaux et nationaux ont misérablement échoué. Si l’Accord de Paris (2015) a été une grande réussite diplomatique, son efficacité pour mettre l’économie mondiale sur une trajectoire soutenable est proportionnellement inverse. Généralement, face aux rapports de pouvoir dans un régime néolibéral et néoréaliste international, l’arbitrage a été défavorable au consensus scientifique concernant les enjeux devant lesquels on se trouve.

Faire entrer les sciences et les expertises scientifiques, au sens général et au sens écologique en particulier, dans les institutions politiques, l’élaboration des politiques publiques et la décision collective dans l’intérêt général, est un vieux problème. Le recours à l’expertise, scientifique et autre, est à la fois nécessaire et récurrent dans la pratique politique. C’est aussi une pratique qui ne peut pas éviter de reproduire des rapports de force, des paradigmes, des épistémologies, des positionnements idéologiques qui sont présents dans la recherche scientifique comme dans n’importe quelle pratique sociale. Si aujourd’hui il faudrait désigner la science qui domine l’action publique d’ensemble, il faut épingler les sciences économiques, non pas dans leur intégralité et leur pluralité, mais au sens de certaines écoles et présupposés méthodologiques.

Pour construire le changement de cap exigé par l’écologie politique, celui de faire entrer l’humanité dans les limites de la soutenabilité sans recourir à des solutions néo-malthusiennes, il faut effectuer un double revirement par rapport à la relation entre sciences et le fait politique. Le premier est le refus fondamental du scientisme, ou l’attitude consistant à considérer que toute connaissance ne peut être atteinte que par les sciences, particulièrement les sciences physico-chimiques, et qui attend d’elles la solution des problèmes humains. Les sciences dites « dures », nous ayant fait le service de tirer la sonnette d’alarme jusqu’au moment où on se réveille finalement, sont aussi singulièrement mal équipées pour nous sortir de crise. Les corpus des connaissances et méthodes scientifiques descriptives ne dictent pas les solutions, ne sauront pas être prescriptives ou normatives. Ils peuvent nous dire quelles pratiques humaines il ne faudrait pas continuer, mais pas avec lesquelles il faut les remplacer. Avec le scientisme il faut aussi refuser son petit frère (et c’est un mec), le techno-optimisme « climato-rassuriste » qui dit que « la science » finira pour nous sauver en inventant toute une gamme de technologies merveilleuses qui inciteraient à ne pas à changer nos modes de vie pour entrer dans la soutenabilité. Cette idée est d’ailleurs souvent portée par les moins sachants, en sciences et technologie. Mais elle est également bien intégrée chez ceux qui prônent le nucléaire comme solution à la transition énergétique.

Le refus du scientisme, qui implique une relation rectiligne et directe entre un constat scientifique et la solution au problème identifié, nous pousse dans un premier temps vers les sciences humaines et sociales (SHS) en quête des solutions. Et c’est bien normal : dans la nature même de la crise (capitalocène, anthropocène …) on retrouve l’organisation humaine, sociétale, économique, sociale… Bien évidemment, ce sont les flux physiques et chimiques la cause immédiate de la crise écologique, mais le cœur battant de la machine infernale reste bien et bel nos civilisations capitalistes et productivistes avec toutes leurs normativités à l’appui. Les SHS sont en effet les sources et les lieux premiers de construction des critiques et des propositions alternatives. Il ne faut pas pourtant tomber dans un scientisme SHS miroir, prétendant à une capacité normative et prescriptive ; c’est précisément le problème de la majorité des sciences économiques (hétérodoxes compris). La recherche scientifique aujourd’hui la plus pertinente pour une écologie politique est celle qui se construit en mode inter- et transdisciplinaire, ce qui donne déjà une idée ce qui devrait être une des pierres angulaires d’une politique ESR d’une république écologique. Mais ce n’est pas ceci le deuxième revirement.

Les propositions des SHS ont autant besoin de médiation démocratique que celles des sciences « dures », ce qui nous mène au deuxième revirement, celui vers une nouvelle relation entre sciences et sociétés, toute discipline confondue. Il faut aujourd’hui réaliser que la recherche académique, tout type d’institution concernée, n’est pas capable de construire et diffuser l’intégralité des connaissances actionnables nécessaires pour la transition écologique, si on adopte ce terme pour le retrait dans les limites planétaires. Si on factorise dedans l’idée qu’il est préférable d’y faire entrer l’humanité entière, au lieu d’y rentrer en diminuant l’humanité, la responsabilité démocratique des sciences se pose encore plus concrètement.

Une écologie politique qui prend réellement et sincèrement en sérieux sa responsabilité et obligations démocratiques ainsi que celle d’« écouter la science », est obligée de travailler de manière programmatique la relation entre les deux - sciences et démocratie - comme une cheville ouvrière de la transition écologique.