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Le vivant est sur toutes les lèvres. C’est assez récent, on peut dater cela de la fin des années 90 avec l’émergence des mouvements animalistes, du biomimétisme et plus récemment des approches régénératives. Les approches par la biodiversité étant un compromis politico-scientifique pour faire prendre en compte ce qui reste une forme plus technique d’un concept de Nature au sens occidental du terme. C’est-à-dire une caractérisation de ce qui n’est pas humain avec une mise à distance encore plus grande puisqu’elle se départit de la dimension culturelle au profit d’une description scientifique. Ces mouvements s’appuient sur l’accès à de nouvelles connaissances scientifiques. Il ne faut d’ailleurs pas confondre la question du vivant avec la biologisation de la politique qui elle a pris tristement ses marques dans le romantisme naturaliste fasciste du début du siècle dernier pour prendre toute sa puissance dans les libéralismes du XXe siècle et dont nous vivons l’expression la plus totale en temps de pandémie. En effet, la question du vivant comme objet politique est une question subversive y compris et peut-être surtout pour les écologises en recherche d’un positionnement sur un échiquier politique bâti sur le détournement de la biologie et des principes du vivant au profit de l’aspiration à l’accroissement de la production. Dans ce paysage ce qui distingue la gauche de la droite est la répartition des revenus plus ou moins équitable de cette production entre les différentes classes sociales. Le vivant n’est alors considéré que comme une ressource mobilisable. Cette vision partagée du rapport à la production comme moyen d’émancipation a conduit à la situation que les scientifiques nomment anthropocène, que certains préfèrent désigner comme capitalocène pour dénoncer les responsabilités plus ciblées mais qu’il serait certainement plus précis de nommer productivocène.
La question du jour est par conséquent devenue infiniment plus complexe et oblige à la prise en compte du maintien des conditions d’habitabilité de la Terre. La question du vivant conduit à la remise en cause de notre architecture mentale dans tous les domaines, la politique, les sciences, la culture, les affectes, l’économie, l’organisation sociale, la métaphysique. S’il faut résumer, ce bouleversement de notre pensée est que nous avons (re)pris conscience que nous sommes vivants parmi les vivants.
En d’autres termes cela revient à intégrer politiquement l’inversion vertigineuse de trois siècles de pensée occidentale productiviste qui a triomphé, celle de l’économisation du monde fondée sur l’externalisation et l’exploitation de la nature. Les écologistes ont-ils suffisamment pris la mesure de ce changement cosmologique ?
Les débats sur le pouvoir d’achat et les positions au sein de la gauche laissent penser que certains d’entre nous sont encore très à l’aise avec le maintien d’une rhétorique héritée d’une époque où les écosystèmes étaient encore en capacité de compenser nos errances productivistes. L’étendue de nos connaissances, les manifestations des bouleversements globaux que nous subissons aujourd’hui appellent à une prise en compte plus profonde de la réincorporation de notre statut d’être vivant parmi les vivants dans une cité écologique.
Le vivant est donc subversif parce qu’il ne nous laisse pas croire à nos propres fables. Si nous devons reprendre des combats dits de gauche ce n’est pas en revendiquant l’héritage marxiste productiviste mais en embrassant les combats pour sortir de l’économisation totale de nos sociétés. Intégrer les enjeux d’habitabilité de la Terre nous oblige à accepter que l’écologie politique ne peut chercher à s’inscrire dans le sillage des gauches périmées. Elle ne peut qu’être une nouvelle force à la prou d’une nouvelle gauche par essence mais qui doit élargir sa base pour devenir majoritaire.
Produire c’est assembler et combiner ce que l’on considère comme des ressources. Être conscient d’être vivant parmi les vivants c’est prendre conscience que l’habitabilité du monde est rendue possible par des soins portés à la continuité de l’ensemble des êtres vivants qui engendre le monde. Gloser sur l’importance du vivant comme soutien de notre propre existence n’est pas suffisant. Un travail important est à mener. Ce travail est d’ordre culturel au sens qu’il s’agit de refonder un mode d’être au monde. Il est urgent de prendre le temps d’engager ce chantier avec profondeur. Voici quelques propositions pour démarrer ce processus :
- Le vivant crée les conditions de sa propre existence. Il engendre. Il faut donc sortir de la question de la production pour aller vers la question de l’engendrement ou dit de manière plus opérationnelle aller vers la régénération, la génération des conditions de vie. Il faut donc sortir du développement durable pour aller vers les politiques du soin, de l’enveloppement. Sortir de l’écologie pour aller vers une définition d’une nouvelle prospérité des vivants. EELV s’engage à lancer un grand processus d’enquête pour définir les contours de cette prospérité désirable et partageable par tous et toutes ;
- Pour parvenir à cette fin il nous faut renforcer les conditions de la production des savoirs scientifiques ;
- EELV décide d’intégrer un cycle de formation obligatoire pour ses adhérents et ses élus de culture du vivant, notamment à travers l’histoire du vivant et les grands principes pour le maintien des contritions de vies sur Terre ;
- Sortir de l’économisme pour entrer dans les soins au monde, en matérialisant nos liens d’interdépendances, notamment en changeant les règles de réussite par le développement de nouvelles règles de comptabilité publique et des entreprises ;
- Sortir des logiques climato-productivistes et fonder l’adaptation au changement climatique sur la réintégration des grands cycle biogéochimiques fondés sur la non entrave à l’établissement de nouveaux équilibres génératifs ;
- Produire un référentiel du type FSSD (Framework for Strategic Sustainable Development – Cadre stratégique pour le développement durable) comme cadre d’évaluation des décisions politiques, toute décision doit éviter d’extraire des ressources de la croute terrestre, ne pas disséminer de substance nocive pour les cycles du vivant, ne pas détruire d’écosystème physique, maintenir la capacité des peuples à pourvoir à leurs besoins fondamentaux et à assurer leur devenir ;
- Décider que tout projet dit « écologique » doit avoir fait l’objet d’une éco-conception basée sur les principes du vivant et avoir été évalué par la grille d’évaluation de type FSSD.
Si ces points ne sont pas suffisants à une complète intégration des vivants dans nos actions politiques ils sont indispensables à la matérialisation de la bifurcation vers l’adaptation radicale nécessaire à de nouvelles prospérités. Il est plus que temps d’engager ces orientations dans les Mairies écologistes même sous forme expérimentale et de porter cette cohérence au niveau de l’Assemblée nationale et au Sénat.